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Est-il légal d'appliquer la préférence régionale ?

D'autres territoires que la Corse mettent déjà en oeuvre la préférence régionale. STEPHAN AGOSTINI/AFP

LE SCAN ÉCO - Certains territoires français mettent en oeuvre la préférence régionale, que ce soit en matière d'emplois ou de marchés publics. Est-ce vraiment légal ? Le Figaro fait le point.

Une charte favorisant l'emploi local a récemment fait polémique en Corse, le préfet de Corse l'accusant d'être «constitutive de l'infraction de discrimination à l'embauche». Mais l'île de Beauté n'est pas la seule à prôner la préférence régionale en matière économique. Les initiatives existent en effet déjà sur tout le territoire. La Nouvelle-Calédonie, la Réunion, la Provence-Alpes-Côte d'Azur (PACA), l'Auvergne-Rhône-Alpes et même la ville de Paris privilégient les emplois locaux ou encore les entreprises régionales dans la commande publique. Certains évoquent même une forme de «protectionnisme local».

En Nouvelle-Calédonie, à la Réunion et même à Paris: les locaux d'abord

Le 27 juillet 2010, le congrès de la Nouvelle-Calédonie a adopté une loi relative au soutien de l'emploi local. Le texte dispose que, dans le secteur privé, «les emplois seront prioritairement occupés par des citoyens de la Nouvelle-Calédonie et, à défaut, par des personnes justifiant d'une durée de résidence suffisante». Cette priorité à l'emploi local s'applique «à conditions de qualification et de compétences égales».

Une logique similaire existe sur l'île de la Réunion. En juin 2015, neuf entreprises, Pôle emploi et le Préfet avaient signé une charte en faveur de l'emploi local en présence du Premier ministre d'alors, Manuel Valls. «C'est une charte de bonne conduite pour inciter les entreprises du secteur privé à embaucher, à compétences égales, un emploi local afin de régler, en partie, la question du chômage mais aussi et surtout de donner plus de dignité aux Réunionnais», expliquait Yvan Hoareau, secrétaire CGT de l'île de la Réunion, sur France Bleu en mars 2016.

Une charte pour l'emploi local existe même à Paris. Elle a été lancée début 2016 par la Ville de Paris et le groupe Casino (Monoprix, Franprix, Naturalia, Supermarché Casino…) a été le premier à la signer. Pauline Véron, adjointe d'Anne Hidalgo, détaillait ce dispositif dans les colonnes du Parisien en avril 2017: «Dans cette charte, nous aidons les entreprises à satisfaire leurs besoins en organisant des sessions de recrutement. Nous avons également ciblé des populations comme les jeunes, les chômeurs longue durée, les femmes en situation de monoparentalité ou encore les seniors. En échange de notre aide, les entreprises s'engagent à prendre des Parisiens».

Pourquoi la charte sur l'emploi local fait polémique en Corse et pas ailleurs?

Concernant la Nouvelle-Calédonie, Maître Eva Touboul - avocat en droit du travail - évoque l'accord de Nouméa de 1998. Cet accord prévoit le transfert de certaines compétences de la France vers la Nouvelle-Calédonie dans de nombreux domaines. «Cet accord a été constitutionnalisé», explique Maître Eva Touboul. La constitution ayant une valeur juridique supérieure à la loi, cela explique que la Nouvelle-Calédonie puisse privilégier ses habitants dans le domaine de l'emploi.

Pour pouvoir comparer la Corse aux autres territoires, il faut se plonger dans les textes. Maître Eva Touboul cite l'article L1132-1 du Code du travail qui dispose - entre de multiples autres critères - qu'aucune personne ne peut être écartée d'une procédure de recrutement en raison de son lieu de résidence. Mais selon l'avocate, la charte corse contourne habilement ce principe en déclarant «favoriser ceux qui ont un centre d'intérêts matériels et moraux en Corse», ce qui est plus large que le seul lieu de résidence. Pour l'avocate, c'est la notion de «compétence suffisante» contenue dans la charte qui posera réellement problème. «Quand il y a deux propositions pour un emploi, et bien à compétence suffisante, les résidents corses seront favorisés», déclarait Jean-Guy Talamoni, président de l'Assemblée de Corse, il y a quelques jours. «J'ai peur que ce soit un élément insidieux de discrimination car il pourrait conduire à recruter quelqu'un de moins diplômé uniquement parce qu'il a des intérêts matériels et moraux en Corse. À mon sens, il aurait fallu utiliser le terme de compétences requises ou égales», déclare Maître Eva Touboul.

Dans le cas des chartes de l'île de la Réunion et de la Ville de Paris, il est fait mention de «compétences égales», et non de «compétences suffisantes». C'est là toute la différence avec la charte corse selon Maître Eva Touboul. «La charte pour l'emploi à Paris est une déclaration d'intention. On demande de favoriser certains publics fragiles mais pas de discriminer», estime l'avocate, qui relève aussi que «seulement» un tiers des emplois mentionnés dans la charte s'adresse uniquement aux Parisiens.

Ce vendredi, François Baroin, chef de file LR pour les législatives, s'est déclaré favorable à l'inscription de la «spécificité insulaire» de la Corse dans la Constitution, à même d'«ancrer durablement» l'île dans la République, à l'occasion d'une visite à Saint-Florent (Haute-Corse). «Si ça va dans le sens de l'intérêt de la Corse, dans la mesure où il faut des éléments dérogatoires au droit commun pour adapter le droit local à un certain nombre de situations, il faut une modification de la loi fondamentale», a t-il affirmé à la presse.

PACA et Auvergne-Rhône-Alpes: favoriser les entreprises locales dans la commande publique

D'autres territoires privilégient également le tissu économique régional mais en utilisant eux le levier de la commande publique. En novembre 2016, la région PACA a adopté un dispositif de «préférence régionale» destiné à favoriser l'accès des petites et moyennes entreprises (PME et TPE) de la région aux marchés publics. Le dispositif prévoit la création d'une centrale d'achat ouverte aux autres collectivités de la région: départements, métropoles, mairies. Objectif: attribuer 70% des marchés publics aux PME et TPE d'ici 2021. «La préférence régionale, ce n'est pas un interdit, c'est une exigence lorsqu'on livre la bataille pour l'emploi», avait à l'époque expliqué l'ancien président de la région, Christian Estrosi (Les Républicains).

Même chose en Auvergne-Rhône-Alpes. En février 2017, le président de la région Laurent Wauquiez (Les Républicains) lançait une politique de «préférence régionale». Contacté par Le Figaro, Etienne Blanc, premier Vice-président de la région, évoque notamment «l'approvisionnement des cantines scolaires avec des produits régionaux du terroir comme les légumes du Val de Saône ou les fruits rouge de la Vallée du Rhône». «Nous avons créé une centrale d'achat qui regroupe les petits producteurs et les acheteurs», poursuit-il.

Est-il légal de privilégier les entreprises locales dans la commande publique?

Maître Nadia Saïdi, avocat spécialisé dans la commande publique, évoque tout d'abord le droit européen et «le principe d'égalité de traitement et de non-discrimination des candidats à un appel d'offres». En d'autres termes, toute entreprise - quelle que soit sa nationalité ou son origine géographique - doit pouvoir postuler à un marché public.

Mais il existe cependant des marges de manoeuvre qui ne sont pas incompatibles avec le droit européen et le principe de la libre concurrence. «On peut favoriser les entreprises locales en intégrant des clauses d'insertion locale ou sociale dans les contrats administratifs», explique Maître Nadia Saïdi. Ces clauses peuvent par exemple imposer de recourir à un certain pourcentage d'artisans locaux ou d'apprentis, ou encore être relatives à l'environnement. Dans le cas de la région Auvergne-Rhône-Alpes et des cantines, Etienne Blanc évoque des «critères qui permettent de surveiller la qualité des produits et de faire diminuer la circulation sur les routes». Au bout du compte, cela favorise le recours à des producteurs locaux. «Les clauses doivent figurer dans le cahier des charges mais de manière à ce que tout le monde puisse y répondre», résume Maître Nadia Saïdi. L'avocate cite, à titre d'exemple, le cas d'une entreprise belge qui remporterait un appel d'offres à Bastia mais serait amené à travailler essentiellement avec des Corses en vertu de certaines clauses.

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37 commentaires
  • aquitan

    le

    Métropole Grand Paris vue par la maire (socialiste) de Paris : la solidarité, pas chez moi. Anne Hidalgo veut favoriser les habitants de Paris, au détriment des salariés de banlieue. Elle veut aider des populations précaires de Paris... Moi qui croyais qu'ils étaient surtout dans le 93 et une partie du 94. Bref, la métropole Grand Paris n'existe pas, elle n'est que la somme de petits égoïsmes communaux.
    Et les clients de banlieue dans les magasins ou restaurants de Paris, elle n'en veut pas non plus ? Et les salariés qui font 2 ou 3h de trajet par jour, pour des boulots à Paris dont ne veulent pas les autochtones ? Notamment les personnels des hôpitaux concentrés à Paris.